Il va se montrer le plus désagréable possible, imposant à ses troupes une discipline absurde compte tenu des circonstances, et prenant des décisions grotesques et sans justification. Cette étrange politique aura deux conséquences positives. Elle va fédérer les matelots dans leur hostilité à leur chef, et elle va détourner leur attention des vrais problèmes. Comme hypnotisés par les décisions toujours plus inexplicables de leur Capitaine, ils vont faire passer au second plan l’angoissante réalité de leur situation, ainsi que leurs petites querelles internes. Ils surmonteront ainsi cette difficile période, avant de livrer la bataille finale qui leur permettra de s’en sortir. S’agissant d’un film américain, cette bataille sera en effet un succès, et le film s’achèvera sur des saluts pleins de respect échangés entre le Capitaine et son équipage, qui aura enfin compris la nature de son sacrifice.

J’envisageais dans un précédent billet une explication au comportement de Domenech : plutôt que de tenter de tout faire pour obtenir de bons résultats, avec des chances de succès aléatoires et limitées, il préfère bien se marrer en faisant n’importe quoi et en se foutant de la gueule de tout le monde.

Une autre explication peut être proposée. Domenech aurait choisi de jouer l’élément fédérateur négatif (EFN). En se montrant odieux et incohérent, il focalise l’attention des joueurs, qui du coup ne passent pas leur temps à s’angoisser devant l’inéluctable catastrophe annoncée, c'est-à -dire une élimination prématurée et sans gloire. Il aimerait aussi éviter les dissensions internes, mais là il semble que le succès soit mitigé. Visiblement l’entente n’est pas parfaite entre les joueurs. Or cette mauvaise entente peut poser problème dans un sport collectif comme le football.

A cet égard, je rappellerai l’une des deux actions les plus dangereuses contre l’Uruguay : Diaby donne une très bonne balle en profondeur pour Govou, bien lancé et pas hors-jeu. Anelka se trouve sur la trajectoire, mais lui est hors-jeu. Au lieu de se montrer passif et de laisser Govou partir au but, il intercepte le ballon et met ainsi fin à l’action. Dans une action comparable lors du huitième de finale contre l’Espagne en 2006, Thierry Henry (le vrai), en position de hors-jeu, se montre très explicitement passif sur le ballon donné en profondeur pour Ribéry, qui va ainsi marquer notre premier but, l’un des moments clé de notre parcours dans cette Coupe du Monde. L’un a fait preuve d’intelligence de jeu et de solidarité, l’autre n’a même pas pensé que la passe pouvait être destinée à un autre que lui. Cette absence de considération pour ses coéquipiers témoigne d’une mauvaise entente dans le groupe.

Le résultat de la posture d’EFN adoptée par Raymond Domenech n’a donc pas porté tous ses fruits. Il a pourtant essayé de forcer la dose, en se montrant toujours plus odieux, mais visiblement cela ne suffisait pas. Alors ses instances dirigeantes sont venues à son secours. Escalette et les responsables de la fédération sont eux aussi montés au front. Ils ne se sont pas contentés d’accompagner Domenech dans le grotesque, ils l’ont précédé, en organisant par exemple des matchs amicaux d’une portée étonnante. Décider ainsi de rencontrer l’équipe de Chine était en effet une drôle d’idée, une victoire trop facilement acquise contre cette équipe de niveau modeste ne pouvant pas apporter à notre équipe la confiance nécessaire. (On me signale qu’en guise de victoire facile, en fait nous avons perdu, mais je n’y crois pas. Je vérifie).

On a ensuite dépassé le ridicule avec cette visite organisée ce week-end dans un quartier pauvre proche de l’hôtel des Bleus. On y a vu nos joueurs distribuer des stylos à des enfants qui se bousculaient en leur tendant la main. Pathétique. Comment croire que ces enfants, qui manquent du nécessaire, se réjouiront d’avoir reçu, des glorieuses mains de Planus ou de Cissé, un stylo aux couleurs de la Fédération Française de Football ? Ces joueurs ne peuvent aujourd’hui que haïr ces dirigeants qui les ont forcés à se mettre dans cette situation quasiment déshonorante.

Mais il fallait bien que la Fédération se surpasse, pour ne pas se laisser doubler, dans cette course au ridicule, par l’inégalable Rama Yade. Voyant elle aussi que Domenech avait besoin d’aide dans son positionnement d’EFN, elle s’est montrée très efficace, en critiquant, deux jours avant le début de la compétition, le choix de l’hôtel, qui était connu depuis plusieurs mois. Le résultat a été au-delà de ses espérances. En attendant ainsi le pire moment pour adopter cette posture démagogique, elle a suscité la colère de tous les joueurs. Et pour être certaine qu’il ne s’en trouverait aucun pour la défendre, ce qui aurait pu provoquer des dissensions au sein d’un groupe que l’on veut rendre solidaire, elle n’a pas hésité à sacrifier ce qui lui restait de crédibilité. Interviewée sur RTL le matin du match France – Uruguay, elle a déclaré avoir confiance dans notre équipe, malgré sa difficile qualification, car : « je n’oublie jamais que l'équipe de France a souvent eu du mal à se qualifier comme en 98, comme en 2006 ».

Jean-Michel Aphatie, que l’on a connu plus incisif, ne lui a pas fait remarquer que, en tant que pays organisateur, nous n’avions pas eu à nous qualifier pour 98. Il l’ignore peut-être. Mais nos joueurs le savent bien, et il est certain que, ajoutée au reste de son œuvre, cette habile déclaration aura achevé de les unir contre notre estimable secrétaire d’Etat aux Sports. Saluons ici son habileté, qui lui permet de jouer collectif avec Domenech, en focalisant plus qu’il n’y était arrivé lui-même la colère des joueurs, et en contribuant à détourner leur attention de considérations sportives qui pourraient trop facilement les inquiéter.

Comment tout cela va-t-il finir ? Ainsi soudés et protégés de l’angoisse, nos joueurs vont-ils remporter la bataille finale ? Et vont-ils au soir de la victoire rendre un hommage mérité à ceux qui se seront ridiculisés pour les protéger ? Non, car la vie n’est pas un film américain. Ces traditionnels rebondissements, dans lesquels on voit un comportement apparemment absurde mener à la victoire, n’ont pas cours dans la vraie vie. Ni dans le football. Et finalement c’est tant mieux.