Bourg la Reine, déjà , il faut y aller. Les plus chanceux sont venus en voiture ou en deux roues, mais d’autres se sont lancés dans la folle aventure du RER B. Après plus d’une heure de souffrance ils ont fini par rejoindre le stade municipal de Bourg la Reine. Déjà pour eux la tension était montée d’un cran.

Nos adversaires étaient bien classés avant le match, mais une étonnante rumeur nous les avait dépeints comme les épouvantails de la poule. Au point que notre capitaine Karim, qui est pourtant un vrai compétiteur, nous avait fixé comme objectif de ne pas en prendre plus que deux en première période. Objectif atteint : après une splendide ouverture du score de ce même Karim, ils avaient marqué par deux fois, et la mi-temps était sifflée sur le score de 2 à 1 pour eux.

Jusque là rien de très spectaculaire, sinon que nous résistions mieux que prévu, face à une équipe finalement moins dominatrice que nous ne l’avions craint.

Mais la deuxième période allait verser dans l’incroyable. Ce fut d’abord l’égalisation, de Gattuso, d’un très beau tir au ras du poteau du goal adverse (qui entre temps avait réalisé plusieurs belles interventions). Puis Hicham, d’un coup franc magistral nous donnait l’avantage, avant qu’Olivier, d’une tête splendide, ne porte la marque à 4 à 2.

Leurs attaques étaient alors pressantes, et sur un coup franc détourné ils revenaient à 4 - 3. Le souvenir du but encaissé à la dernière minute contre Malakoff nous revenait en mémoire. Le doute s’insinuait, l’angoisse montait, d’autant plus qu’ils bénéficièrent de plusieurs corners dans les toutes dernières minutes. Leur goal désertait son but pour une dernière action, mais rien n’y fit. Le Panthéon opposait une résistance solide, et cette fois-ci il ne laissait pas filer la victoire, sa deuxième de la saison.

Donc, oui, il est normal qu’après un tel résultat et un tel scénario, certains se soient un peu laissé aller, que les barrières soient tombées chez des individus pourtant capables de plus de retenue, et que des comportements inhabituels aient pu être constatés chez un peu tout le monde.

Ce fut d’abord Laurent. Dans sa banlieue résidentielle de l’ouest parisien, ses voisins en parlent comme d’un bon père de famille, sociable et équilibré. Ils ne l’auraient pas reconnu, en train de hurler des onomatopées étranges dans le vestiaire, entouré d’une troupe en transe qui lui donnait la répartie dans des rythmes de sauvages. On vit également Kader jeter à tous les vents et dans une gestuelle majestueuse le contenu dérisoire d’un paquet de bonbons. Notre valeureux gardien lui-même offrit en sacrifice ses chaussures déchiquetées, dont l’agonie pendant la deuxième mi-temps avait mis en péril ses appuis, et donc son efficacité.

Plus tard le même Kader voulut reproduire la chorégraphie de ces joueurs qui, par temps de pluie, plongent littéralement sur le gazon, et se laissent glisser les bras en croix. Il avait oublié qu’il allait s’élancer nu sur le carrelage de la douche, mettant en danger ses capacités de reproduction. Heureusement ses camarades purent le maîtriser avant qu’il ne soit trop tard, en une mêlée digne des combats de gladiateur, et sur laquelle nous resterons discrets.

L’un d’entre nous, ayant mieux gardé le contrôle que les autres, se proposa de filmer certaines de ces manifestations de joie. Cela ne fit que décupler la folie, et si cette vidéo est publiée un jour, ce que nous ne pouvons souhaiter, on y verra une quinzaine de footballeurs, réputés sains d’esprit pour la plupart, sauter en l’air à travers le vestiaire en hurlant leur joie sur une tentative de mélodie symbolique de la victoire.

Tout cela ne grandit pas le genre humain, mais comme disait ma grand-mère, au moins pendant ce temps là ils ne font pas de bêtise. Sauf qu’en fait si. Car ces célébrations, excessives mais finalement tolérables, ne furent pas sans conséquence. Le sac de sport de notre valeureux gardien fut en effet pris dans la tourmente de ces agitations frénétiques, et son flacon de gel douche n’y résista pas. Que l’on se rassure, il put tout de même prendre une douche convenable, ce qui est bien l’essentiel, mais le problème c’est que son sac aussi. Disons qu’il ramena chez lui un sac dont le fond baignait dans le gel douche. Ce n’est pas dramatique en soi, mais il n’est jamais évident d’expliquer à son épouse qu’on a gagné et que donc on a sauté sur les sacs de sport jusqu’à éclater les flacons de gel douche. Il peut arriver qu’elle n’y croie pas, et donc la aussi le doute s’insinue et la tension monte.

Alors moi je veux bien qu’on soit content quand on gagne, qu’on crie sa joie, qu’on lance des bonbons partout, qu’on saute dans le vestiaire en hurlant et qu’on s’éclate les burnes sur le carrelage, mais au moins on respecte les affaires. Sachons raison garder.